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collisions

pour piano & accordéon (2023-24)

Dans ma recherche de réduction de matériaux, je suis parvenu à considérer comme pertinent la répétition d’un accord de quatre son, le tétracorde ré mi fa sol. D'une simplicité enfantine, puisqu'il s'agit de quatre touches blanches consécutives du piano, cet objet sonore pourrait semblait à priori de peu d'intérêt : l’enfant s'amusant sur un piano y produirait plus de diversité. En l’écoutant à l'accordéon cependant, modulé par les différences d'intensités, le jeu alterné entre les claviers gauche et droit de l'accordéon, et les inflexions d'intensité, la couleur de cet accord devint très particulier, perdant sa qualité d'accord et nous faisant entrer purement dans l'écoute du son. Associé au piano, c’est un nouvel instrument hybride à la facture imprécise qui apparait, créant une texture, une nappe, semblable à celles habituellement produites par des synthétiseurs.

La répétition de cet accord devait ensuite être modulée, et je souhaitais créer la sensation d'une durée toujours changeante, une sorte de 2 temps chaque fois inégale, boiteux, s’inspirant en idée de ce que l’on peut retrouver dans certaines musiques de l’Est. Puis le continuum sonore de ce duo serait brisé uniquement par les règles que j'adoptais alors : silence, accent, changement de registre. Le principe serait donc simple : répéter cet accord dans ce balancement irrégulier et le varier uniquement par octaviation, changement de nuances, ou silence. Mais après avoir composé la première minutes au feeling, il m'a semblé ce que j'écoutais alors portait la trace de quelque chose d’autre, la trace d'un phénomène loin des idées conceptuelles qui l’on pourtant fait émerger.

C'est allongé dans la pénombre de ma chambre à Rome, sur mon lit, et observant à la fenêtre, que la question s'est précisée. Dans l'interstice séparant le volet gauche entrouvert de la fenêtre de ma chambre et le mur, la lumière du dehors passait, faisant apparaître une ligne verticale blanche et lumineuse. Cette ligne était très souvent interrompu d'une multitude de points ou de taches noires dans un balancement allant parfois jusqu'à faire disparaître la ligne et créant des figures et patern qui semblaient se répéter et répondre à une structure précise. Cette ‘animation’ particulière excita ma curiosité. Le balayage noir de haut en bas de cette ligne lumineuse était l'unique chose que je pouvais observer, il me semblait pourtant que sa cause invisible était sans aucun rapport esthétique avec ce que je voyais. En effet, les feuilles du bougainvillier au dehors, ondulant au gré du vent, faisaient de l'ombre entre le soleil et l'interstice laissé entre les volets et le mur. Cette ondulation créait ainsi les rythme et les structures noir-lumière-noir que j'observais. 

En en comprenant la cause, cette animation prenait une autre dimension. Elle était la trace d’autre chose, le phénomène visible d’une action invisible peut-être impossible à connaître. Et devant l’impossibilité de se représenter réellement la cause de ce phénomène, son observation donnait pourtant accès à une sensation particulière, celle d’une représentation partielle. La sensation que ce que l’on voit, ce qui est présenté à nos sens n’est pas la réalité, mais uniquement une trace de cette réalité et que donc l’accès à la réalité ne se fait que par une médiation entre un phénomène observé et la représentation imaginée de sa cause.

Le parallèle entre cette observation et l’écoute de la première minute que j’écrivais m’a emmené à chercher comment provoquer la sensation décrite précédemment dans l’écoute musicale. Ici, la question fut de trouver la cause sous jacente des variations rythmiques de mes répétitions. 

De nombreuses pistes se sont présentées : ping pong, tenis, pendules, rebonds. Mais c’est dans la collision de deux blocs dans un espace clos et sans frottement que j’ai trouvé un modèle que je pouvais exploiter. Après avoir utilisé un simulateur sur le site myphysiclab et après quelques entretiens avec son créateur Erik Neuman, j’ai extrait une suite de valeur correspondant à la durée entre les impacts. De cette suite sont issues les durées séparant chaque accord dans les 7 premières minutes de la pièce. 

Evidemment, connaître ou reconnaître le modèle, n’a que peu d’intérêt pour un auditeur et l’enjeu ne réside pas là, mais bien dans cette sensation que ce que l’on perçoit n’est pas ce qu’il paraît. Ainsi de même que l'objet écouté (l'accord) ne s’entend pas pour ce qu'il pourrait être dans le référentiel culturel occidental, le temps et les durées sont l’empreinte d'autre chose, d’une action cachée. 

 

La suite de la pièce s’articule un peu différemment. Le matériau s’enrichit d’arpèges à coloration pop et de gestes assis sur la pulsation, s’étoffant toujours d’avantages jusqu’à aboutir à un accord de ré mineur dans le registre grave de l’accordéon. 

Dans plusieurs de mes dernières œuvres, j’ai cherché l’ambiguïté entre timbre et harmonie. L’hypothèse est simple et semblera sûrement évidente à certain·e : l’harmonie est un cas particulier du timbre, et sa compréhension comme l’un ou l’autre ne dépend que du contexte, en particulier temporel.  Si dans Electronica D minor crush, l’accord original était orchestrée, ici l’accord de ré mineur à l’accordéon est brut. Cependant, sa perception est biaisée par les 9 minutes précédente concentrée sur l’écoute du timbre et des variations de durées.

 

Dans la dernière section, un nouvel élément arpégiant une note sur 4 octaves apparaît. Trouvé dans le morceau Alice Practice de Crystal Castles  et évoquant plus généralement l’arpeggiator que l’on peut trouver sur de nombreux synthétiseurs, il avait déjà fait l’objet d’un développement mélodique dans ma pièce Forbidden Party. Ici, il devient un sujet entre bip téléphonique et cri d’oiseau avant que toute la pièce ne soit lu à l’envers. Comme si le curseur qui jusqu’alors allait de gauche vers la droite, suivant le sens de la lecture, rebondissait lui aussi contre la paroi droite de l’écran, pour repartir dans l’autre sens, jouant la musique en rétrograde et s’arrêtant en suspension avant le long accord dont je parlais précédemment et qui marquait la transition avec cette dernière section.

 A → B → C ⇤

 

Pour pouvoir réaliser certains enchainement rythmique à la vitesse demandée, j’ai dû fabriquer une préparation pour le piano et pour l’accordéon qui enclenche d’un coup les 4 notes de l’accord. Trois barres en métal sont aimantés sur les touches des trois octaves où se jouent le cluster au piano et un capuchon en bois enserre les touches de l’accordéon. La vitesse à laquelle peuvent se succéder les clusters est donc étonnamment rapide à l’écoute, certains passages pouvant même parfois sembler accélérés artificiellement.

 

Du point de vue de l’écriture proprement dit, j’ai utilisé une notation strictement proportionnelle. Le temps est représenté suivant une grille et la place des évènements sur la partition correspond à leur position dans le temps. Il faut avouer que l’habitude des logiciels d’enregistrement et de montage nous ont habitué à une telle représentation du temps. Et bien que cette idée soit présente depuis bien avant l’ordinateur puisque ce genre de notation parcourt le XXe siècle, je dois dire que cette relation particulière avec la partition m’est très confortable.

 

Ici, et comme dans Plastic Boom et Horizons, la partition est une vidéo dont le curseur se déplaçant de gauche à droite indique le déroulement temporel aux interprètes. Le choix est étonnant pour un duo, mais j’ai été confronté à un problème qui m’est toujours insoluble avec la notation standard. Les différences de durée entre les impacts sont extrêmement petit, parfois de l’ordre de 30 ou 40 ms. Ce qui dans un autre contexte ne serait presque pas perceptible, le devient tout particulièrement ici, puisque c’est le sujet même de la première moitié de l’œuvre. Une notation standard rendrait la lecture du rythme très complexe, et placerait les interprètes dans un inconfort qui n’irait pas avec le langage musical. La vidéo permet au contraire une grande fluidité dans la lecture tout en gardant la tension nécessaire à la précision. Pour les gestes plus rapides en revanche, ce type de notation a trouvé ses limites et je dois encore réfléchir à une notation qui mêlerait notation standard et partition vidéo. 

durée ~ 13’

commande d'Ambre Vuillermoz et de Elena Soussi, duo avès crée le 18 oct. 2023 à la librairie 7L (Chanel) à Paris

distribution


Ambre Vuillermoz · accordéon

Elena Soussi · piano

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